Réglementation
Publié le : 30/08/2023 par Anne BALQUET
Entrée en vigueur en 2023, la REP Bâtiment (PMCB) est basée sur le principe du « pollueur payeur » : elle transfère le coût de prise en charge des déchets du détenteur vers le metteur sur le marché de produits et matériaux.
Le secteur du bâtiment étant non seulement l’un des plus importants secteurs consommateurs de matières premières et d’énergies mais également un des plus gros producteurs de déchets, il est un secteur clé au cœur des stratégies nationales et européenne visant à lutter contre la pollution et le réchauffement climatique. Les enjeux d’économie circulaire sont notamment très importants et contraignants pour ce secteur alors que la Fédération Française du Bâtiment fait état d’une conjoncture plutôt difficile et qui se détériore depuis le début de l’année, avec notamment une crise des logements neufs qui s’intensifie et une augmentation du nombre des défaillances d’entreprises.
En France, le secteur du bâtiment génère environ entre 42 millions de tonnes de déchets par an selon le rapport d’étude de préfiguration de la nouvelle filière REP pour le secteur du bâtiment publié par l’Ademe en mars 2021. Un chiffre à comparer aux 30 millions de tonnes de déchets ménagers produits également chaque année par les français !
Figure 1 : Répartition des déchets du bâtiment par provenance et par type de déchets selon les chiffres de l’Ademe
Dans ce même rapport, l’Ademe a estimé les volumes de déchets plastiques valorisables à près de 171 000 tonnes par an (hors moquettes). Ces volumes de déchets se répartissent principalement en 50 000 tonnes de déchets de PVC souple, 60 000 tonnes de déchets de PVC rigide, 28 000 tonnes de déchets de polyoléfines (PE et PP), 20 000 tonnes de déchets de polystyrène expansé (PSE) et de 13 000 tonnes de déchets de polyuréthane (PU). Quant aux 30 000 tonnes de déchets de moquettes également recensées par l’Ademe, elles sont constituées majoritairement aussi de matériaux synthétiques tels que du PVC souple et/ou des fibres en polyamide (PA-6 et PA-6,6), en poly(éthylène téréphtalate) (PET), ou encore en polypropylène (PP).
Selon l’Ademe, le taux de valorisation des déchets des matériaux de construction est de l’ordre de 69% mais ce chiffre masque de fortes disparités selon les matériaux. Si les matériaux inertes comme les déchets de béton utilisés en remblais sont les mieux valorisés, seuls environ 26% des déchets des produits de second œuvre, qui intègrent des matières plastiques, sont traités. En matière de réemploi, les études menées dans le cadre du projet européen Interreg FCRBE (Facilitating the circulation of reclaimed building elements in Northwestern Europe) ont par ailleurs évalué que moins de 1% des éléments de construction sont réemployés à la suite de leur premier usage dans le nord-ouest de l’Europe.
Autant dire que les attentes sont importantes à l’égard de la filière à responsabilité du producteur (REP) pour les Produits et Matériaux de Construction du Bâtiment (PMCB).
La mise en œuvre de la filière REP PMCB, prévue initialement par la Loi AGEC pour le début de l’année 2022, est en effet entrée en vigueur en 2023. Il s’agit de la filière REP considérée comme la plus importante et la plus complexe en France en termes d’acteurs et de volumes à traiter, ce qui explique les difficultés de sa mise en place.
Ainsi, depuis le 1er janvier 2023, les « metteurs sur le marché » de tout produit ou matériau de la Construction et du Bâtiment sont soumis à la REP PMCB. Ils ont notamment pour obligations d’adhérer à un éco-organisme agréé, de déclarer les tonnages des matériaux qu’ils commercialisent et de mettre en place une traçabilité de ces matériaux (sous la responsabilité d’un éco-organisme). Ils ont également commencé, depuis le 1er mai, à acquitter l’éco-contribution dont ils sont redevables à l’un des quatre éco-organismes agréés de la filière depuis octobre 2022.
Ces 4 éco-organismes, agréés pour 5 ans par les Pouvoirs publics pour la collecte et le traitement des déchets de la filière, sont Ecominéro, Ecomaison, Valdelia et Valobat. Ils sont encore en cours de négociations aujourd’hui pour finaliser la mise en place du maillage territorial des points de collecte et ont démarré les appels d’offres pour constituer leurs réseaux de partenaires et d’opérateurs pour la collecte, le transport et le traitement des déchets. Le rythme de déploiement de la filière se poursuit donc en phase avec les prévisions définies dans le cahier des charges de la filière (1).
Quant à l’organisme coordonnateur de la filière, OCA Bâtiment (2), il a reçu son agrément en mars pour 2 ans, soit jusqu’à fin 2024. Créé par les 4 éco-organismes de la REP, il a un statut de SAS à 4 associés (soient les 4 éco-organismes). Il a pour mission de s’assurer du bon fonctionnement de la REP, en particulier en répartissant les obligations des éco-organismes en fonction des volumes mis sur le marché par leurs adhérents et en coordonnant leurs travaux communs inscrits au cahier des charges de la filière :
Figure 2 : L’organisation de la filière REP PMBC (©IPC, 07/2023)
L’ensemble de la feuille de route des 4 éco-organismes et l’éco-organisme coordonateur ainsi que les objectifs de recyclage et de réemploi sont donc définis dans le cahier des charges de la filière REP PMCB (1). Ces objectifs sont ambitieux au vue de l’état des lieux et des délais prévus pour les atteindre mais la mise en place et la structuration de la REP PMCB permettent d’agir sur l’ensemble du cycle de vie des produits et des matériaux : écoconception, allongement de la durée d’usage, prévention des déchets, gestion de fin de vie, etc.
Figure 3 : Les objectifs de collecte, de recyclage et de réemploi des déchets PMBC (selon le cahier des charges de la filière (selon l’Arrêté du 10 juin 2022 publié au JORF n°0142 du 21 juin 2022)
En parallèle à la mise en place de la REP PMCB, le Diagnostic PEMD (4) pour les déchets du bâtiment, également issue de la loi AGEC, est entré en vigueur le 1er juillet. Ainsi, lors de certains travaux de démolition (4) ou de rénovation significative (5), les maîtres d’ouvrage ont donc désormais l’obligation de réaliser un diagnostic portant sur la gestion des produits, des équipements, des matériaux et des déchets issus des bâtiments ou Diagnostic PEMD. Ce nouveau dispositif qui remplace le Diagnostic Déchets en vigueur depuis 2011 a pour objectif de répertorier les types et les quantités de déchets, d’identifier les volumes de déchets réemployables, réutilisables, recyclables ou valorisables et d’évaluer les possibilités effectives de réemploi.
Si ce Diagnostic PEDM tel que défini par les textes officiels ne concerne essentiellement que les sites de bâtiments industriels ou tertiaires, il a bien été mis en place pour contribuer à l’économie circulaire du secteur du bâtiment. En dressant un état des lieux des matériaux issus des chantiers de démolition et de rénovation, il permet d’optimiser leur réemploi. Il devrait ainsi permettre non seulement une meilleure gestion des déchets en amont de leur collecte par les éco organismes mais également de dynamiser le secteur du réemploi.
Comme la mise en place de la REP et le Diagnostic PEMD, la règlementation environnementale RE2020 est aussi un facteur favorable pour le développement de la filière des matériaux de réemploi. Entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2022, elle s’est mise en place en trois phase, la dernière ayant débuté le 1er janvier dernier. Ainsi la RE2020, qui s’est substituée à la réglementation thermique de 2012 (RT2012), s’applique à tous les bâtiments sans exception depuis le début de cette année. Elle a pour objectif non plus seulement d’améliorer la performance énergétique des bâtiments comme la RT 2021 mais également de réduire leur impact sur le climat en tenant compte de l’ensemble de leurs émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble de leur cycle de vie. Les matériaux réemployés n’étant pas intégrés dans le calcul de l’impact carbone, leur utilisation offre un avantage indéniable aux entreprises du bâtiment pour réduire l’empreinte carbone de leurs constructions.
L’Europe également travaille pour accentuer les contraintes réglementaires du secteur du bâtiment pour le décarboner et le circulariser. Dans le cadre du Pacte Vert, la Commission européenne a ainsi publié en mars 2022 un projet de révision du règlement européen de 2011 régissant la commercialisation des produits de construction qui prévoit d’imposer que les produits de construction soient conçus de manière à ce que leur durabilité environnementale soit optimale : conception des produits de manière à faciliter leur réutilisation, leur réparation et leur recyclage, utilisation de matériaux recyclables et de matériaux issus du recyclage, obligations en matière de contenu recyclé minimal, réduction des empreintes carbone et environnementale, etc. Le texte intègre également l’obligation pour les entreprises de fournir des informations environnementales sur le cycle de vie des produits via un « passeport numérique ». Ces nouvelles exigences et obligations sont ainsi alignées sur celles prévues dans le projet de règlement relatif à l’écoconception des produits durables, qui a été également proposé par la Commission européenne en mars 2022 pour rendre (presque) tous les produits durables, sûrs et recyclables sur son marché.
Le projet de nouveau règlement sur la commercialisation des produits de construction qui doit permettre de « rendre les produits de construction conformes aux principes de l’économie circulaire », c’est-à-dire à la fois durables, réparables, réemployables et recyclables, a été examiné par les Etats membres de l’Union européenne et par le Parlement européen qui ont respectivement voté leurs positions le 30 juin et le 11 juillet dernier (6). Les négociations entre le Conseil européen et les députés européens ont depuis été entamées dans le cadre de la procédure législative ordinaire. Certains élus écologistes ont déjà exprimé leurs inquiétudes face à un texte qui ne serait pas suffisamment contraignant pour permettre au secteur du bâtiment de se transformer en industrie durable et de réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES).
Quoi qu’il en soit, les initiatives se multiplient sur le marché du réemploi des matériaux de construction, et cela d’autant plus que les prix des matériaux de construction ne cessent d’augmenter. En septembre 2022 la start-up parisienne Cycle Zéro a par exemple lancé une plateforme éponyme qui permet de récupérer gratuitement des matériaux de chantier en région parisienne. Elle met en effet en relation des opérateurs de chantiers et des particuliers afin que les surplus et déchets réemployables de matériaux de construction des premiers puissent être récupérés gratuitement par les seconds. Une solution qui permet aux particuliers de réduire le coût de leurs travaux et aux entreprises du bâtiment de réduire le coût de traitement de leurs déchets. Depuis son lancement, Cycle Zéro a ainsi travaillé sur une quinzaine de chantiers parisiens et récupéré plus de 108 tonnes de matériaux.
Dans la Région Grand-Est, des professionnels de la construction se sont regroupés au sein d’une association qui vise à promouvoir le réemploi en Lorraine. Cette association, baptisée REMISE, vient de lancer Reemployez, une « plateforme numérique de mise en lien entre l’offre et la demande de matériaux de construction de réemploi sur le territoire du Grand Est ». Des initiatives locales similaires se développent partout sur le territoire national.
Autre exemple d’initiative, Cyneo, lancée par Bouygues Bâtiment France (BBF), est un projet auquel se sont associées des filières de réemploi et Premys, la filiale spécialisée dans la démolition du groupe Colas. Ce projet s’est aussi donné pour objectif de réunir les entreprises disposant de gisements de matériaux de réemploi et celles qui en recherchent en les fédérant dans une communauté, en mettant à disposition une plateforme digitale recensant les gisements et les besoins en matériaux de réemploi et en mutualisant des moyens dans des centres techniques intégrant des espaces de stockage et de production et un centre de formation. La finalité du projet est ainsi de mutualiser l’offre en matériaux de réemploi et les moyens, de standardiser les process et de développer les compétences afin de structurer la filière du réemploi et d’obtenir sur le marché des matériaux de qualité, garantis et en quantité.
Cyneo qui compte s’implanter sur l’ensemble du territoire devrait ouvrir son premier centre technique à Vitry-sur-Seine dans le Val-de-Marne en septembre. Les premières entreprises qui ont annoncé rejoindre ce premier démonstrateur sont cinq entreprises spécialisées dans le réemploi et le recyclage de matériaux : Moebius (réemploi de faux-planchers), Tricycle (mobilier, portes et sanitaires), Textifloor (moquettes et sols souples), Etnisi (carrelages recyclés) et Circouleur (peintures recyclées).
Si ce type d’initiatives permet de développer le réemploi des matériaux et produits de construction, il ne peut se faire sans mise en place de référentiels ni sans standardisation. Lors de leur premier usage, les matériaux recyclés ou réemployés ont subi des contraintes – ne serait-ce que du vieillissement -, une dépose, ils peuvent aussi être transportés avant d’être effectivement recyclés ou réemployés. Tous ces « évènements » dans la vie d’un matériau sont autant de facteurs qui peuvent affecter ses caractéristiques et ses performances alors qu’il doit répondre aux mêmes exigences techniques qu’un matériau neuf en termes par exemple d’aptitude à l’emploi, de durabilité, d’entretien, de réparabilité, etc. Plusieurs projets sont donc en cours notamment au centre technique industriel du bâtiment, le CSTB, pour sécuriser la filière et lui garantir une qualité de matériaux recyclés ou réemployés à la fois constante, économiquement compétitive et répondant aux exigences de performance et de sécurité des bâtiments.
A titre d’exemple, le projet collaboratif SPIROU (Sécuriser les Pratiques Innovantes de Réemploi via une Offre Unifiée) vise à harmoniser les pratiques de réemploi et leur sécurisation afin d’obtenir une reconnaissance assurantielle. Démarré fin 2022 et pour une durée de deux ans, SPIROU est financé par l’Ademe. Les quatre partenaires, le CSTB (coordinateur), A4MT, Qualiconsult et Moebius Réemploi, travaillent actuellement à l’établissement de process et de protocoles de caractérisation pour dix familles de produits qui ont été définies au début du projet. D’ici à la fin du projet, en décembre 2024, dix guides méthodologiques, un par famille de matériaux, devraient être publiés pour lever le verrou assurantiel pour les matériaux de réemploi.
Et lorsque des déchets du bâtiment ne sont pas aptes à intégrer une filière de réemploi, c’est la REP PMCB qui prend donc désormais le relais. Si les éco-organismes peuvent s’appuyer sur des initiatives volontaires de recyclage déjà organisées et dont la plus avancée est le programme européen VinylPlus qui a recyclé en 2022 plus de 800 000 tonnes de PVC dont environ la moitié était des profilés PVC en fin d’usage, ils vont devoir d’une part évaluer les possibilités d’acceptation des déchets de polyoléfines (PE, PP) issus du bâtiment dans les filières existantes et d’autre part poursuivre les développements et autres travaux de R&D pour les matériaux les plus difficiles à recycler tels que le polystyrène expansé (PSE) ou le polyéthylène réticulé (PEX) s’ils veulent atteindre les objectifs fixés par les Pouvoirs publics.
Notes :
(1) Le cahier des charges de la filière REP PMCB a été défini par l’arrêté du 10 juin 2022 publié au JORF n°0142 du 21 juin 2022.
(2) OCA Bâtiment -pour Organisme Coordonnateur Agréé pour la filière Bâtiment- a reçu son agrément pour 2 ans par l’arrêté du 17 février 2023 publié au JORF n°0062 du 14 mars 2023.
(3) Le Diagnostic Produit Équipement Matériaux Déchet ou Diagnostic PEMD a été mis en place par le décret d’application n°2021-872 du 30 juin 2021 et par l’arrêté d’application du 26 mars 2023).
(4) Les travaux de démolition concernés sont les opérations de démolition portant au moins sur la moitié de la surface de plancher de bâtiments dont la surface cumulée est au moins de 1000 m2 ou de bâtiments quelles que soient leurs surfaces qui ont hébergé au moins une substance dangereuse.
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